Suite aux attentats de début janvier, le président et le gouvernement ont décidé de mesures dans différentes directions, pour contrer le terrorisme, d’une part, afin de poursuivre et amplifier la mixité sociale, éduquer les valeurs de la République à l’école et appuyer les enseignants dans leur autorité. Ces mesures, nécessaires, sont difficiles (impact budgétaire, solution pour contraindre davantage les maires à respecter les quotas, budget à mobiliser, etc.) et, pour certaines, n’ont d’effet réel que sur plusieurs années, voire davantage.
Voir en particulier l’article du Monde : François Hollande veut célébrer la laïcité dans les écoles.
Pour évoquer tout d’abord un point très précis, l’injonction d’une minute de silence « Je suis Charlie » m’a mis très mal à l’aise. Il ne me semble pas qu’on ait bien analysé et fait la part des choses sur son objet : c’était bien sûr un hommage aux victimes des odieux attentats des 7 et 9 janvier. C’était aussi un hommage à des journalistes et une manifestation de défense de la liberté de la presse. Mais cela pouvait aussi s’interpréter – notamment avec le slogan « Je suis Charlie », omniprésent et générique – comme un hommage à des trublions auteurs d’une publication au goût douteux, et surtout, à leurs provocations répétées de diverses personnalités et institutions (dont religieuses). Avec cet éclairage, on peut tout à fait comprendre que ceux qui avaient été offensés par ces provocations aient voulu s’abstenir, tout simplement, face à cette ambiguïté.
Comment, dès lors, en vient-on à sanctionner ceux qui ont juste demandé à se retirer ? Quel sens a ce genre de cérémonie si ce n’est pas la manifestation sincère de la conscience personnelle de chacun ? Imposer la participation n’est-il pas en totale contradiction avec la liberté de conscience ? (Il y a certes une valeur éducative à imposer l’exécution d’une action à un jeune, comme par ex. pour développer les valeurs de solidarité au sein d’un groupe. Dans le cas présent, comme on l’a montré, il ne s’agit pas d’une action mais de la manifestation d’une opinion. Quel exemple éducatif donnons-nous donc en imposant une opinion ?)
Concernant l’éducation des valeurs de la République, faisons bien attention à ne pas faire de la laïcité un intégrisme ! Il me paraît nécessaire à ce titre de se rappeler l’Article 1 – toujours en vigueur – de la loi de 1905 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » Il ne s’agit pas d’éradiquer toute trace de la religion dans l’espace public, mais de préserver l’ordre public. Même pour un agnostique, les différentes religions, les monuments, l’art, la musique, les écrits, les pratiques religieuses font partie du patrimoine et de la vie de la société, dans leur multiplicité. A présent – c’est un athée qui vous parle –, le trouble à l’ordre public provient des soi-disant hérauts de la laïcité plus que des pratiquants ! Où est donc passée la tolérance, composante de la valeur cardinale française Liberté ?
Mais ce dont il faut prendre conscience, collectivement, c’est que ces mesures prises par le gouvernement ont toujours, directement ou indirectement, la même cible : les « minorités visibles » (je n’ai pas trouvé meilleur terme…), les « banlieues » sont encore pointées comme le problème de la France.
Plus que jamais, et cela est totalement absent de tous les discours, c’est un travail sur elle-même que la « majorité française » doit effectuer !
Cette « majorité » doit comprendre que le pays qui s’appelle France est composé de TOUS les Français, auxquels il faut aussi joindre les personnes de nationalité étrangère présentes sur le sol, puisqu’elles font aussi, d’une manière spécifique, partie de la société, dans leurs diversités. C’est la réalité d’aujourd’hui, le résultat de l’Histoire, nous n’en sommes les acteurs que depuis peu (selon notre âge), avec les conquêtes, l’esclavage, la colonisation puis la décolonisation, la solidarité avec les nations alliées, le recours à l’immigration pour l’emploi au cours des Trente glorieuses, l’urbanisation et la relégation dans les banlieues, l’accueil des réfugiés en danger, etc. (Une visite du musée de l’histoire de l’immigration, à Paris, inauguré récemment – mais ouvert depuis octobre 2007 ! –, est éclairante.) Que cela nous plaise ou non, la France d’aujourd’hui c’est ça, c’est tout ça ! Toutes les politiques d’immigration, même les plus répressives, ne changeraient rien à cette réalité démographique – ou ce ne serait qu’à la marge. A quoi bon le reprocher à nos prédécesseurs, ils ne sont plus là !
Il n’y a pas d’autre choix pour bien vivre en France que d’accepter ces différences, de tenter de les comprendre et de concéder que nous n’en sommes pas toujours capables, de refuser les préjugés et les comportements de rejet, et de lutter contre le racisme parfois même explicite.
Donc plutôt que de s’imaginer imposer autoritairement les valeurs de liberté de la presse, de laïcité, etc. aux jeunes via l’éducation, c’est par de réels débats que le mouvement actuel parviendra à la compréhension de ces valeurs. Que le point de vue des minorités soit écouté, discuté, considéré avec un regard apaisé sous l’angle des valeurs françaises, et accepté dès lors qu’il est compatible, ce qui est sûrement vrai dans la plupart des cas. Ce sont aussi ces débats qui permettront aux minorités de comprendre et ré-analyser leur propre relation aux autres groupes sociaux, et de s’adapter spontanément pour plus de fluidité. La difficulté n’est pas du côté des enseignants, c’est ainsi qu’ils procèdent pour la plupart, mais dans l’objectif qui leur est donné.
Seuls le débat libre et bienveillant, la marque de l’intérêt porté à l’autre, permettront les rapprochements dont la France a vraiment besoin, avec pour aboutissement la reconnaissance de la légitimité de tous dans la société. N’est-ce pas tout simplement ce qu’on appelle la Fraternité ? Plutôt qu’autoritaire, c’est ce message de tolérance et de respect que les politiques devraient, je pense, adresser aux Français, à tous les Français !
Les actions sociales (aide à l’emploi, éducation, mixité urbaine) sont nécessaires, mais ce n’est pas elles qui réduiront les oppositions qui se sont creusées entre majorité et minorités.
Ce n’est pas un rêve – sauf peut-être dans le sens où rêvait Martin Luther King en 1963 –, c’est une nécessité, un impératif, si on veut vivre ensemble !
(Texte révisé le 29 janvier 2015.)